Solidarësch Hëllef Réiserbann, l’ONG « locale » du Réiserbann, vient de recevoir en février 2011, la confirmation de l’aboutissement des revendications des Kollas pour la récupération de leurs terres ancestrales.

Un partenariat a été signé le 11 octobre 1992 entre la Municipalité de Roeser (engagée par tous ses élus) et trois représentants de la Communauté habitant la Finca San Andres, département de Oran, province de Salta en Argentine, invités à Roeser pour cet évènement. (Le 12 octobre marquait l’anniversaire de 500 ans de la découverte de l’Amérique, date inique pour les indigènes). Ce partenariat était basé sur les principes d’assistance mutuelle et de reconnaissance mutuelle, quant à l’identité culturelle et à l’autodétermination. Pour les indigènes le besoin d’aide concernait leur lutte pour sortir de l’esclavage, retrouver la liberté de circulation et récupérer les terres ancestrales, expropriées en 1932, soi-disant pour le développement de l’industrie sucrière, en réalité pour récompenser le Gouverneur de la Province de Salta propriétaire de cette industrie, du soutien qu’il avait apporté au premier putsch militaire argentin.



La Commune de Roeser avait répondu à une demande d’appui politique, elle s’accompagnait bientôt, de la part des communautés indigènes, d’une demande d’appuis à des actions plus concrètes de développement. C’est dans cet objectif que les ONGs Solidaresh Hellef Reiserbann l’ONG locale de Roeser, Chiles Kinder et ASTM (Action Solidarité Tiers Monde Luxembourg), s’associèrent pour étudier, financer et suivre trois projets successifs de 1992 à 2003, qui permirent de renforcer l’organisation communautaire, de mettre en œuvre des actions de défense juridique et de commencer à améliorer la vie de la communauté. Ces actions ont été par ailleurs cofinancées par l'Union Européenne et le Ministère de la coopération. Les associations et écoles du Reiserbann participèrent activement tant aux échanges culturels qu’à la collecte des fonds propres nécessaires.

Un an après la première venue des « Indios » à Roeser, une délégation de trois Roeserois visitait à son tour la Communauté, Raymond Becker, Francis Klein et Christian Wolzfeld, ils étaient accompagnés de Marie Ange Schimmer représentant ASTM. Arrivés de Humahuaca par le chemin des Incas, en caravane d’initiation, ils étaient attendus au portail d’entrée de la Finca, surnommé portail de la honte en raison des contrôles armés que devaient subir les habitants, pour tout mouvement de personnes et de marchandises. Les Roeserois dénoncèrent l’abus devant la presse et les autorités de police et la garde indigne fut levée sur le champ.

Dès la rentrée parlementaire suivante, c’est avec une motivation renforcée que la quasi-totalité de la communauté se rendit à Buenos Aires pour défendre un projet de loi présenté par le député Barbera, visant à ré- exproprier l’Ingenio de Tabacal en faveur des habitants de la Finca. Certes, le projet était modeste, par réalisme, il ne visait que 20.000 has environ, sur les 145.000 que comptait la Finca, mais il s’agissait des pourtours des villages situés sur le versant andin. La plupart de la superficie de la Finca concernait en fait des zones de montagnes culminant à plus de 4000 mètres, dont seuls quelques alpages étaient utilisés en été pour faire paître les troupeaux et produire des pommes de terre et autres cultures de montagne adaptées aux conditions de climat de cette transhumance saisonnière.

Cette terre de montagnes, environ 70.000 hectares, sans aucune infrastructure, avait fait l’objet d’une donation à la communauté en 1986. Le but de cette donation était de déloger les familles qui s’étaient installées dans les villages proches d’Oran, à savoir Los Naranjos, Rio Blanquito, Angosto de Parani  pour les renvoyer à San Andres et Santa Cruz, dans les montagnes, afin de mettre fin aux revendications sans cesse renouvelées depuis l’injustice de 1932. Une marche de 1946, jusqu’à Buenos Aires, baptisée « Malon de la Paz » était restée dans les mémoires, à cause de l’assassinat du trésorier et du retour « manu militari » des manifestants, sous les ordres de Péron. Une autre marche encore plus dramatique s’était déroulée en 1986 cette fois à Salta, au retour trois nourrissons étaient morts noyés suite à la crue des rivières, qui entraîna la chute d’un tracteur et de tous les voyageurs entassés sur la remorque. Ce drame avait finalement ému les responsables politiques.

Grâce au soutien de Roeser, la Communauté fut reçue par le Président Menem après trois semaines de camping sur la place de Mai et la loi de 1993 fut votée le dernier jour de la session parlementaire. Il fallut manifester de nouveau deux ans après, pour qu’elle ne passe pas aux oubliettes du simple fait de l’absence d’engagement de l’état fédéral. Cette fois la Communauté et la Commune  de Roeser saisirent ensemble le Défenseur du peuple qui obtint la décision du Premier Ministre in extremis. Mais l’Ingenio n’était pas d’accord avec le prix fixé pour l’indemnisation, une controverse judiciaire de longue haleine s’engagea. C’est cette longue marche qui vient de se terminer en février 2011, cette fois encore avec une épreuve de force. En effet, depuis des mois, le directeur du Registre des propriétés tergiversait pour toutes sortes de raisons politiciennes. L’avocat de la Communauté dût le faire condamner à obéir à une injonction de la Justice, ce qui eut finalement raison de ses réticences.

Non moins passionnante fut l’affaire judiciaire développée à propos de la donation de 1986. En effet, après la victoire de 1995, les dirigeants de la Communauté estimèrent qu’ils pouvaient désormais accepter la donation de 1986, puisque l’Ingenio ne pouvait plus exiger leur départ des trois villages cités, du fait de l’expropriation votée par le parlement fédéral. Cette fois encore l’enregistrement de la donation fut réalisé in extremis par Me Zavaleta, avocat à Salta. Cependant, l’Ingenio le prit d’autant plus mal, que dans le même temps diverses actions avaient été entreprises pour stopper l’exploitation illégale du bois de la forêt subtropicale. Cette exploitation se faisait avec le concours de la Seabord Corporation des USA qui en assurait le transport et la commercialisation. La parade de l’Ingenio consista à organiser le rachat de ses propres actions par la Seabord, avec l’espoir sans doute d’échapper ainsi à ses dettes fiscales, qui pesaient lourd dans la négociation avec l’état fédéral argentin. Seabord s’opposa à la donation dont elle feignit d’avoir ignoré l’existence au moment de l’achat des actions de l’Ingenio, mais elle perdit en première instance en 2005 et en appel en 2007. C’est en juillet 2007 que la Communauté fit part de sa joie et manifesta son désir de voir Roeser s’y associer au milieu de la Communauté.

Malheureusement depuis 1998 deux nouvelles difficultés étaient nées. La pose d’un gazoduc, commandé au groupe belge Tractebel, qui sous-traita à l’entreprise Norandino, entraîna l’opposition d’une partie importante de la Communauté, aidée par une association écologique locale ainsi que Greenpeace (sollicité par Roeser). Un jugement obtenu en première instance contre l’ouvrage fut cassé en appel pour des raisons qui auraient justifié le recours à la cour Internationale, mais en même temps l’unité de la communauté se fissurait en raison des cadeaux faits aux dirigeants. La dispute surgit à la fois concernant des prestations de complaisance comme la réfection et l’élargissement des chemins (un coup de bull dozer) et des terrains de football et concernant la répartition d’une indemnisation de 400.000 US dollars à partager entre les quatre villages. Comme deux villages sont sur le tracé du gazoduc alors que les autres sont dans la vallée voisine, des dirigeants de Los Naranjos prétendirent que ceux de la vallée voisine ne devaient pas être concernés. A l’inverse les autres dirigeants estimaient que ces avoirs appartenaient à l’ensemble de la communauté et devaient servir à la défense des intérêts globaux. Les dissidents allèrent jusqu’à créer une communauté indigène à part, pour Los Naranjos, ce qui risquait de compliquer l’enregistrement de la propriété communautaire des terres ancestrales. Heureusement, ils ne récoltèrent que des retards. A ce jour les dissidents continuent de recevoir des appuis politiciens et surtout de décourager les efforts d’organisation communautaire.

Aujourd’hui la Communauté est officiellement propriétaire de 90.000 hectares de montagnes, en deux lots séparés par une zone boisée, qui grâce aux efforts de la communauté et de ses alliés est classée réserve naturelle. En aval des villages de la vallée, une dernière partie de la Finca est en grande partie exploitée par l’Ingenio qui en reste propriétaire. La communauté peut donc continuer de pratiquer l’élevage des troupeaux et la transhumance, à ce titre, il lui reste à relever des défis importants pour l’amélioration des conditions d’élevage et d’existence de sa population. En effet, du fait des divisions nées en 1998 et manifestées publiquement lors du dernier voyage de Roeser en 1999, les projets de développement rural et artisanal qui avaient été programmés se sont brutalement arrêtés, sans qu’une évaluation de leur impact ait pu être correctement mise en place. De même une évaluation de la biodiversité, faune et flore, entreprise par l’Université de Salta n’a pu arriver à des résultats concrets en ce qui concerne les priorités d’actions pour la conservation de la biodiversité et l’exploitation de ressources potentielles pour un développement durable.

Bien que les actions juridiques aient eu un coût important (de l’ordre de 1 ou 2 Euro par hectare) les victoires appartiennent avant tout à la ténacité de la Communauté, à la fidélité des partenaires de Roeser (commune et ONGs) et à l’obstination de l’avocat qui en a fait une affaire personnelle, à l’instar de l’engagement de certaines personnes du Roeserbann qui restent dans les mémoires.

A ce stade l’appui solidaire n’est plus la priorité, une certaine autonomie de la communauté est de nouveau possible. Sur le plan culturel et au niveau de la symbolique de la solidarité, il sera intéressant de voir si cette histoire du XXème siècle a encore un avenir.

En images, le film commémoratif réalisé en 2002 par Ciné Vidéo Flash de Roeser « Dix ans déjà ».