Rappel des enjeux antérieurs à la conception du projet
Ce projet a été conçu dans le cadre du contrat du partenariat (Hermanamiento) signé le 11 octobre 1992 entre la Communauté Kolla des villages de San Andres, Los Naranjos, Rio Blanquito et Angosto de Parani de la province de Salta en Argentine d’une part et la Commune de Roeser d’autre part.
Le principal objectif concret de ce partenariat était la lutte de la population Kolla pour la récupération de la propriété ancestrale des terres de la Finca San Andres, qui constituent le territoire des quatre villages. Ces terres de montagnes et de forêts humides (région de la yunga andine) d’une superficie totale de 129.000 hectares, reconnues appartenir aux indigènes au moment de l’indépendance de l’Argentine avaient été expropriées en 1932 pour être attribuées à la société sucrière Ingenio de Tabacal, propriété privée du Gouverneur de la Province de Salta, Patron Costa, en récompense du soutien qu’il avait apporté au premier putsch militaire intervenu au niveau fédéral du pays. Il s’en suivait une pratique d’esclavage des populations indigènes qui perdurait sous le Gouvernement de Péron, sollicité en vain au cours d’une longue marche des indigènes vers la capitale, appelée « Malon de la Paz ». En 1990 les indigènes étaient encore enfermés dans la Finca derrière une longue clôture dont le portail était gardé par un homme armé et ils devaient payer des droits illégaux pour toute entrée ou sortie de marchandises, ce qui leur interdisait de commercialiser leurs produits et d’améliorer leurs habitats.
Un projet de Loi déposé en 1986 par le député local Eliseo Barbera, avait été voté en 1993 suite à une marche des Kollas à Buenos Aires et grâce au soutien de la Commune de Roeser et des ONG ASTM, SHR et Chiles Kinder. Cette loi fédérale rendait aux Kollas une petite partie des terres ancestrales, située dans les parties basses de la Finca, soit 19.700 hectares sur les 129.000 que compte l’ensemble de la Finca. Ce projet de Loi visait un compromis social suite aux décès de trois enfants, tombés dans la rivière en crue, au retour d’une manifestation des Indigènes à Salta, capitale de la Province, mais il ne fut pas pour autant facile d’en obtenir le vote. Les indigènes campèrent pendant trois semaines sur la place de Mai. Les délégués de la Commune de Roeser avaient rencontré les Sénateurs Léon et De la Rua quelques semaines plus tôt. Ils envoyèrent aussi des messages au Président Menem. Deux ans plus tard le Premier ministre traînait les pieds pour engager les 2% de la valeur estimée du terrain, sans lequel la loi devenait caduque. Les indigènes appuyés par la Commune de Roeser demandèrent l’intervention du Défenseur du peuple, qui obtint ce paiement au jour limite. L’Ingenio de Tabacal entreprit alors une bataille judiciaire et administrative arguant d’une mauvaise évaluation de la valeur de l’immeuble, auquel l’état opposa d’importants retards d’impôts. Cette affaire vient enfin de se terminer au terme de 25 ans de luttes par la remise officielle du titre de propriété, relatée en annexe 1.
Mais le reste de la Finca faisait l’objet de déboisements systématiques organisés par l’Ingenio, gravement préjudiciables à la flore et à la faune de cette région située dans le corridor de la Yunga andine. La société Seabord Corporation des USA assurait le transport et l’exportation des grumes. Dès 1995 les indigènes déposèrent des plaintes pour déboisement abusif.
En 1996 la Communauté indigène Tinkunaku, qui regroupait officiellement les populations des quatre villages, faisait enregistrer une donation des terres d’altitude, faite par l’Ingenio de Tabacal en 1986, deux jours avant l’échéance de dix ans, qui aurait rendu cette donation caduque. Cette donation concernait une superficie de 70.000 hectares, correspondant aux terres les plus hautes (de 3000 à 4000 mètres d’altitude). Elle ne pouvait être acceptée par les Kollas avant l’existence de la Loi de 1993 car elle aurait signifié leur obligation de résider exclusivement dans la montagne au dessus de 3000 mètres, ce que les troupeaux n’auraient pu supporter durant l’hiver. En effet, de tous temps ils avaient pratiqué la transhumance, en fonction de la rigueur des saisons. Pour s’opposer à la réalisation effective de cette donation qui ne pouvait plus éloigner les populations indigènes comme il l’avait souhaité en 1986, l’Ingenio de Tabacal céda ses actions à la Seaboard Corporation des USA qui tenta par voie judiciaire, en qualité d’acquéreur, d’annuler cette donation. Le procès, l’appel et les tracasseries administratives durèrent jusqu’en 2007, date à laquelle le Gouvernement de la province de Salta a effectivement remis les terres concernées à la Communauté Kolla.
Comme l’indique Maître Zavaleta dans ce texte, avec ces deux titres de propriété, « la Communauté totalise en ses avoirs une superficie de 90.000 hectares »… La conclusion de ces affaires portées toutes deux devant la justice par l’ex propriétaire, permettra enfin aux Kollas de la Finca de retrouver une vie digne, au terme de plus de 25 ans de luttes. Elle démontre que tous les efforts déployés ne l’ont pas été en vain. Le projet diagnostic a fait partie de ces efforts, il a contribué à mobiliser l’Université aux côtés des Indigènes et à créer une conscience écologique dans un espace important de la société civile de Salta.
Certes, une bonne part des terres boisées et riches en biodiversité dont le projet diagnostic a voulu favoriser la protection se trouvent en fait entre les deux parcelles déjà mentionnées. Nous relaterons plus loin comment elles ont été classées en 2002 par l’Unesco dans la « Réserve de biosphère de laYunga ».